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Werner Söllner - Trois poèmes

- 3 poèmes traduits pas Hélène Dorion -

l'auteur | ses écrits | traduction en chantier

Au-dessus des toits d'Amsterdam 

Dans une ville étrangère
du pays - Jamais
mon père ne m'a rendu visite.

Je l'ai appelé. Sur le toit
un pigeon, sur le rebord de la fenêtre, le chat
aveugle, frayant avec des étrangers ; sur la table, une. tasse
de café. Des nuages de lait.

Mon père était assis sur la chaise en osier
indécis et silencieux. Quelque peu
distant. Comme avant, lorsqu'il était
chez lui. Et quelqu'un d'autre là-bas. Camarade
Dieu, par exemple, en exil
au Paradis terrestre. La peau mince de ses mains
avec des taches de vieillesse.

À voix haute,
je me suis mis à raconter. Le désir
d'avoir peur, la culpabilité, la guerre et le silence
en moi. L'héritage. D'autrefois et de - Jamais.
Peut-être tout. Je ne sais pas. La vie
autour de moi se répand et se répand
comme de l'aluminium. Bruit de glandes, chaleur
et froid. En même temps. Que je m'entends aboyer
depuis peu.
Dehors il a commencé
à pleuvoir. Ce n'est pas si facile, a-t-il
dit par ma voix, que
tu sembles le croire. Sa tête a cessé
de branler. Et ta mère ? C'est plus simplement
compliqué. Viens, rêve, il est temps ! As-tu des billets de rêve ?

Oui. Pleine lune
au-dessus de Leidseplein. Des extraterrestres
avec des yeux, des bouches, des oreilles. J'entends
battre le cœur. Entre les côtes. À gauche
sous le porte-monnaie. J'entends une voix :
Il est temps, invente ! Pour quelques
florins. Donnés par des aveugles, des sourds, des muets.

 

La cuillère chinoise

Un jour de novembre, lorsque
par erreur j'étais devenu
Erich Fried, parmi d'autres invités
dans un musée viennois rempli
de petites queues en marbre de Hrdlicka, décorées
de canapés; de Prosecco et de bière

alors je regardai les adultes-enfants
dévorer leur mère ad nauseam
en privé et en politique, servie
avec du poisson et des courges sur de la porcelaine
chinoise ; alors j'ai compris enfin que ce monde
ne se transformera jamais en un état pensé autrement
par qui et comment et pour quoi
que ce soit

un jour de novembre, lorsque
je me rappelai les nombreux, trop nombreux poèmes
parmi lesquels - L'amour est
ce qu'il est
-, à ce moment je regardai Sartre
se retourner dans la bouche d'un ministre
éclairé ; alors j'embrassai la cuillère chinoise
comme Nietzsche, son cheval, et j'allai
avec Nausicaa planter un petit arbre
dans l'instant.

 

Seconde nature

Je m'étonne
de la persévérance du vivant,
de l'impulsion fantaisiste
des pousses, et regarde le jardin
laissé peu à peu à l'abandon.

Sans avoir le droit d'y être,
je suis ici. je le sais. Pouvant être
congédié sans préavis, je suis assis
près de la clôture, achevé sournoisement
sous une étrange étoile, on me convoque pour entrer
dans la peau, cette histoire unique,
et je me prépare, alors que le voisin zélé
arrache l'herbe de la faucille pour
qu'elle ne rouille pas.

Au Paradis loué, rien
de ce que je possède ou dit n'importe, sauf
un certain amour impuissant qui me trompera
avec la mort, sauf les quelques
lettres de la valise sur laquelle je suis assis ; sauf
la mémoire, la rosette zélée
de mes erreurs, les doutes toujours croissants
et ma seconde nature.

Certes, je suis aussi devenu triste,
naturellement, à mon réveil
et j'ai vu la clé rouge sang dans l'herbe,
incapable de me pencher. Si
je savais qui a fait cela, j'irais
vers lui. Mais je reste près de la clôture,
étonné, sans aucun droit, et je m'incline
un instant sur une feuille, amoureux
de quelque chose, sans espoir
de plus.

 

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