De Alice Vieira
traduit du portugais par Marie-Amélie Robilliard
Il est très précisément trois heures
de l'après-midi du premier jour du mois d'août et je vais
tenir ma promesse. Ou plutôt nous allons tenir notre promesse. Je
la regarde : elle est assise devant l'ordinateur, très droite
comme à son habitude, et j'ai la certitude que tout va se passer
pour le mieux. En ce moment Antonio doit être en train d'échanger
ses impressions sur les dernières avancées de la psychiatrie
avec notre père. Je suis vraiment désolée pour Antonio,
mais il fallait bien que quelqu'un se sacrifie. A vrai dire, je ne suis
pas tout à fait sûre que ce soit pour lui un véritable
sacrifice : au fond de lui, il rêve d'avoir un jour un cabinet
cossu rempli de patients luxueusement parfumés et tenu par Belmira
qui répondrait au téléphone : " Madame
Durand, comment allez-vous ? je suis navrée mais le docteur
ne pourra vous recevoir que le mois prochain. " Cette histoire de
devenir médecin pour le bien du peuple, je n'y crois pas une seconde :
tout ça, ce sont des boniments pour gagner les bonnes grâces
de Renata. Et faire un petit tour sur sa Harley Davidson, bien évidemment.
Le silence règne dans l'appartement: on perçoit à peine
le bruit des touches sur le clavier et ma mère ne supporte pas la
musique quand elle travaille. Entre nous soit dit, elle n'est pas encore
très dégourdie pour se servir de l'ordinateur, aussi s'exclame-t-elle
régulièrement : " Gloria (" Gloria, ma chérie ",
quand sa détresse est insoutenable) si j'appuie sur cette touche,
que se passe-t-il ? " Je lui ai déjà expliqué des
centaines de fois à quoi correspond chacune des touches ainsi que
les merveilles et dangers d'un tel appareil, et qu'il faut qu'elle soit
très concentrée si elle ne veut pas que tout passe brusquement à la
trappe. Grand-mère Tita est furieuse lorsqu'elle m'entend parler
ainsi. Je lui ai pourtant déjà raconté je ne sais
combien de fois qu'il s'agit d'une référence à Gilles
de Rais, un Français du XVe siècle, qui faisait passer dans
les trappes de son château les petits enfants qu'il dévorait,
et que les mères à l'époque menaçaient leurs
enfants de les expédier chez lui s'ils n'étaient pas sages
ou s'ils ne mangeaient pas leur soupe, ce genre de corvées que les
mères ont de tout temps infligées à leur progéniture.
Mais ma grand-mère reste insensible à ces références
historiques : " Ce sont des histoires que ta mère te fourre
dans la tête ".