Les canards s'en lavent les pattes

Croisière en gabarot - été 2003

par Jean-Bernard Forie
Photos : Jean-Bernard Forie


Vendredi 1er août 2003

Les joyeux apprentis-chefs de bord de l’UCPA se réveillent en fanfare à 5 heures et demie du matin, pour constater que les quilles de leurs deux bateaux sont encore profondément enfoncées dans la vase molle, car leurs calculs de marée sont erronés. Après toute cette agitation, nous prolongeons notre nuit jusqu’à 7 heures du matin, puis ils partent enfin vers Pauillac où s’achève leur stage. De mon côté, je me prépare en prenant mon temps, et appareille tranquillement à la godille. Il n’y a pas un souffle d’air sur l’eau à cette heure-ci de la journée. Les rives sont encore noyées dans la brume et je vais mon chemin, voguant à l’aviron à l’ombre de la voile de misaine que j’ai établie pour capter l’imperceptible souffle dû à notre déplacement avec le courant. Je traverse l’estuaire en diagonale, et j’arrive ainsi à Saint-Christoly-du-Médoc vers treize heures. Comme la veille à Port-Richard, la fin du jusant me pose devant l’estey où ne coule plus qu’un infime ruisselet d’eau, presque une rigole où même mon canot ne peut pas flotter.

Saint-Christoly-du-Médoc Saint-Christoly-du-Médoc, vu "de dehors" - Photo J-B Forie

Après le pique-nique, je regrée l’artimon et le bout-dehors et je vérifie le circuit des manœuvres courantes. En effet, j’ai décidé de ne pas attendre que la marée ait suffisamment monté pour visiter ce port, je préfère passer l’après-midi à tester la capacité de mon bateau à naviguer avec toute sa voilure et barre amarrée.

Essais de pilotage automatique… et ça marche !

Saint-Christoly-du-Médoc, étale de marée basse Saint-Christoly-du-Médoc, étale de marée basse - Photo J-B Forie

Le flot accourt, en une sorte de microscopique mascaret qui chuinte doucement sur l’estran. L’eau remonte, le vent accourt aussi, soufflant force 1 à 2 Beaufort. J’essaie alors d’appareiller sans me faire drosser sur le rivage. Je me dégage à l’aviron, puis engage la dérive et le gouvernail, largue les voiles, puis hisse le foc que j’étarque de mon mieux. À l’allure du largue, je traverse le chenal.

Je tends un sandow en travers du pontage arrière et j’engage dessous la barre franche. La tension du sandow suffit à la tenir droite tout en lui laissant un peu de jeu.

Je m’écarte, je m’assois avec précaution sur le banc d’artimon : barre amarrée, Plénitude se gouverne seul et avance à bonne allure. Je surveille les variations du cap avec le GPS : elles ne dépassent pas 5° de part et d’autre du cap moyen. Voilà quelque chose de parfaitement réjouissant !

Barreur fantôme Barreur fantôme - Photo J-B Forie
Pas de barreur ? Personne à la barre - Photo J-B Forie

Marée sans fin dans le bras mort

Long bord tranquille Long bord tranquille - Photo J-B Forie

Nous naviguons ainsi jusqu’à Pauillac, puis j’engage mon canot dans le bras mort de l’Île Verte, alors que le soleil décline. Il m’est donné de pouvoir rester sur le même bord, à l’allure du largue, avec toute ma toile. Nous sommes presque à marée haute, nulle vase ne découvre plus à cette heure, et les rives verdoyantes s’illuminent, éclairées par en dessous des rayons de la lumière dorée et rasante du soir. La rive ouest bascule déjà dans l’ombre alors que le sommet du coteau, sur la corniche de Gironde, resplendit encore. À chaque inflexion du bras mort, je me figure que c’est fini, que le charme est sur le point de se rompre, que la marée va s’inverser, que la brise va refuser, que sais-je encore ? Mais le charme opère encore et encore.

J’arrive ainsi, émerveillé de ce bord tranquille qui n’en finit pas, devant la digue de Macau, qui matérialise la fin du bras mort. La digue est complètement submergée par la marée  n’émergent plus, à cette heure, qu’une tourelle avec un feu ainsi qu’un petit arbre qui s’est obstiné à pousser là. Dérive à demi relevée, Plénitude passe au-dessus de cet obstacle. Me voilà en Garonne.

La brise forcit, la nuit tombe, et la marée descendante ne vient pas : je préfère jeter l’ancre près de la rive de Macau pour attendre l’heure de la renverse et prendre deux ris. Je soigne ma manœuvre, en veillant à ce que la voile soit roulée bien serrée, les garcettes de ris bien nouées et la hauteur du balestron bien réglée. Cela prend du temps et la marée s’inverse. Aussitôt j’appareille et tire des bords pour me dégager de l’étroit chenal d’Ambès. Il fait nuit noire avec un clapot haché typique du vent contre marée. Trois ou quatre cargos surgissent alors, qui descendent le chenal, dans un lointain ronronnement de machine. Il faut tirer des bords en regardant continuellement sous la voile ainsi qu’à l’arrière, ces monstres allant si vite qu’ils peuvent surgir de l’horizon et vous surplomber en un rien de temps. La tête comme sur des ressorts, je descends le chenal en les surveillant, en enchaînant les virements de bord, et enfin je peux laisser porter vers Roque-de-Thau, Plassac, puis l’île Pâté. Je me glisse ensuite entre les îles et y jette l’ancre.


Jeudi 31 juillet | Samedi 2 août


Estuaire intime En canot sur l'estuaire
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