Les canards s'en lavent les pattes

Croisière en gabarot - été 2003

par Jean-Bernard Forie
Photos : Jean-Bernard Forie


Jeudi 31 juillet 2003

Toutes voiles dehors Toutes voiles dehors - Photo J-B Forie

Le matin, l’eau vient lécher la coque du bateau à la pleine mer, et je pars. Sur l’eau plate de l’étier, j’avance à la godille et me pique au jeu en essayant d’atteindre la vitesse la plus élevée possible : 2,5 nœuds, sur quelques centaines de mètres. Un record personnel, en quelque sorte, et mesuré au GPS de surcroît. Une fois dans l’estuaire, j’établis la voilure complète : artimon, grand-voile et foc sur son long bout-dehors.

Rencontre en bordure du grand chenal Rencontre en bordure du grand chenal - Photo J-B Forie

Une faible brise de travers nous fait avancer vers le chenal, que nous longeons ensuite au grand largue. Seule diversion sur les eaux désertes, le passage d’un cargo.

Vue du haut du pontage arrière Vue du haut du pontage arrière - Photo J-B Forie

Je longe ainsi la rive du Médoc, alors que la chaleur, par ce grand beau temps, augmente encore et encore… J’amène le foc et roule l’artimon : Plénitude est ainsi plus maniable, et je fais des essais de tangon pour déborder le point d’écoute de la grand-voile.

Nous passons devant l’ancien phare de Richard, puis atteignons un petit chenal qui serpente dans la vase avant de disparaître derrière un écran de roseaux : nous voici devant Port-Richard.

Pateaugeage à Port-Richard

Le chenal de Port-Richard Une entrée de port ? Le chenal de Port-Richard
Photo J-B Forie

Il y a (comme d’habitude !) deux ou trois perches tordues pour tout balisage, pas une maison, pas un bateau de visible sur le rivage. J’échoue Plénitude au pied de la première perche, dans une vase molle toute grouillante de petits vers. Soleil vertical, immobilité, silence : cette matinée de lente navigation s’achève ici.

Après le pique-nique du milieu du jour, le flot revient et, impatient d’arriver à Port-Richard, je décide de ne pas attendre passivement que l’eau monte, mais d’employer les grands moyens. Après avoir enfilé mes cuissardes, je descends dans la vase molle à côté du canot, et je pousse la coque pour l’amener dans le petit filet d’eau qui reste au fond du chenal d’accès. Il faut vaincre la succion de la vase qui colle au fond plat, trouver la bonne manière de planter la jambe dans cette matière molle sans trop s’enfoncer, la retirer sans perdre la cuissarde, faire son possible pour ne pas finir transformé en fantôme d’argile verdâtre et liquide. Et, progressivement, Plénitude glisse sur l’estran et rejoint le filet d’eau claire. « J’y suis arrivé, et maintenant », me dis-je, « il ne reste plus qu’à remonter le chenal ». Marchant sur un fond à peine plus ferme, je m’installe contre le tableau arrière du canot et je le pousse lentement. Chaque mètre gagné a coûté son lot de sueur et d’effort, mais je ne peux pas faire autrement : le chenal est trop étroit pour utiliser les avirons, et si je monte à bord pour avancer à la perche, mon poids suffit pour que la coque s’enfonce et s’échoue. Il faut rester ainsi, le torse surplombant à peine le pontage arrière, et les jambes pataugeant dans l’eau et la vase. Mais une idée me vient : en regardant la girouette en haut du mât, je m’aperçois que le vent souffle dans l’axe de l’estey. Je déferle aussitôt la voile puis m’installe de nouveau à l’arrière. Le chenal entre les roseaux est très long, mais ce mode de propulsion m’épargne beaucoup de fatigue. Je n’ai presque plus à pousser, mais seulement à contrôler le mouvement. Enfin, l’estey s’élargit assez pour que je puisse terminer à l’aviron, et tout cela m’a bien pris deux bonnes heures.

Port-Richard, le port et le vieux pêcheur Port-Richard, le port et le vieux pêcheur - Photo J-B Forie

Où suis-je arrivé ? Au fond d’un estey tranquille, aux berges gazonnées sur lesquelles s’alignent d’anciennes cabanes d’ostréiculteurs peintes en noir. Quelques pontons, quelques barques, une poignée de bateaux de plaisance abandonnés complètent le décor.

À peine ai-je tourné mes amarres qu’un vieil homme surgit, tout excité par mon arrivée. Il m’aborde avec simplicité et je lui réponds de même, comme si nous avions senti d’emblée qu’entre le marin-pêcheur à la retraite et le plaisancier, il pouvait y avoir de multiples connivences : « D’où viens-tu avec ce beau bateau et qui es-tu ? »

Et nous engageons une longue conversation. Il me parle de sa vie d’ostréiculteur de l’estuaire contraint par la pollution des bancs d’huîtres sauvages à se reconvertir dans la pêche. Nous nous installons sur un banc et discutons ainsi pendant que la marée monte. Il y a enfin assez d’eau pour que le port s’anime : des canots de pêche rentrent, un petit ketch aux voiles rouges se prépare à sortir, et moi-même il faut que je m’en aille, car j’ai prévu de faire escale plus en amont, à Vitrezay. Les voiles hautes mais carguées le long de leurs balestrons, le foc roulé autour du bout-dehors, je pars à l’aviron, escorté par le vieux pêcheur qui marche un moment sur la berge et me fait de grands saluts.

6 mètres carrés de voile 6m2 de voile, ça suffit largement - Photo J-B Forie

Une fois arrivé à l’embouchure de l’estey, je me rends tout de suite compte que la force de la brise de mer, en cette fin d’après-midi, va m’obliger à réduire la toile. Je jette ma petite ancre à proximité du rivage, puis réduis la grand-voile de deux ris et démâte l’artimon. Pour dégager l’étrave, je dégrée le bout-dehors et je repars. Le canot, sous sa voilure réduite, ne subit pas d’effort excessif et galope sur les vagues, tout en souplesse et agilité. La visibilité est excellente, tout l’estuaire s’offre au regard, des dunes de La Palmyre jusqu’à la centrale du Blayais. Nous traversons rapidement ce vaste espace et longeons la rive saintongeaise. Je cherche l’entrée du port de Vitrezay, et je m’approche très près de la rive, à toucher le ressac. Les détails du rivage défilent : cabanes de pêcheurs au carrelet, vannes des petits canaux qui drainent le marais, petites anses que l’érosion a creusées, cunettes où somnolent des yoles entre quatre piquets. Les vagues me prennent par la hanche tribord, dans un roulis prononcé, et il y a du travail à la barre.

Agapes à Vitrezay

Mais voilà enfin la rangée de grands arbres et la petite jetée de Vitrezay qui se détachent distinctement du rivage et se rapprochent très vite. Me voici à son extrémité ! J’empanne à la volée, puis remonte l’estey, d’abord à la voile, puis à la godille. Deux grands bateaux de plaisance sont amarrés au bout du ponton réservé aux visiteurs, et à bord on me hèle : ce sont des stagiaires de l’UCPA, l’école de voile basée à Pauillac, et un verre d’apéritif m’attend à leur bord. Voilà une proposition qui ne se refuse pas ! Nous faisons connaissance et échangeons diverses anecdotes sur l’estuaire. Finalement, je me retrouve bien calé contre une hiloire de leur bateau, une assiette pleine de pâtes posée sur les genoux, un verre de vin rouge à la main. Une grande partie de l’équipage est composé d’étudiants et la conversation voltige joyeusement d’un sujet à l’autre. Demain, une fois encore, tout le monde se lève tôt et pour ma part je vais une fois de plus m’étendre au fond de ma coquille de noix.


Mercredi 30 juillet | Vendredi 1er août


Estuaire intime En canot sur l'estuaire
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