La question de l'ouverture d'un nouvel espace
géographique est au cœur de la géopoétique ainsi
que son corollaire, ouvrir une nouvelle géographie de l'esprit.
Si pour y parvenir, la méthode peut passer par la recherche d'une
expression écrite de la géographie, parce que toute poésie,
toute création est liée à une terre, à un lieu,
elle ne s'y réduit pas. La poésie ici entendue au sens de "dynamique
fondamentale", doit déboucher sur "un nouvel espace mental".
Ce que nous demandons à la poésie c'est qu'elle nous aide à écouter
le monde.
Une poésie où les mots ne cimenteraient pas les pierres d'un
rempart autour du réel - ce monde même auquel nous appartenons
- mais au contraire ouvriraient des brèches pour le saisir, aideraient
à retrouver
une capacité à lire, voir et dire "le sens du monde
grand ouvert".
Si elle tient à se démarquer de la poésie du mot comme
de la poésie du moi, cherchant à saisir la poésie
du monde, le propos de la géopoétique est bien d'approfondir
le rapport homme-monde dans toute sa complexité.
Ce type de sensibilité semble à première vue prendre
radicalement à contre courant la pensée contemporaine. C'est
la moindre des choses si l'on veut ouvrir un nouvel espace culturel ou
l'on respire mieux. Où la culture ne serait pas un amoncellement
de "manifestations culturelles".
Pas de précurseurs, de papes ou de gourous. Simplement le bonheur
de partager un tel espace commun et ouvert avec des gens aussi divers que
H.D. Thoreau, Humboldt, Yeats, Whitman, Ségalen, Bouvier, Snyder,
Synge, etc. La géopoétique pour moi n'est pas un cadre de
doctrine, un système, une école. C'est une direction pour
penser. Une direction dans l'espace, un champ.
K White s'exprime ainsi là dessus :
« La géopoétique est le nom que je donne depuis quelques
temps à un "champ"qui s'est dessiné au bout de longues
années de nomadisme intellectuel. Pour décrire ce champ, on pourrait
dire qu'il s'agit d'une nouvelle cartographie mentale, d'une conception de la
vie dégagée enfin des idéologies, des mythes, des religions,
etc, et de la recherche d'un langage capable d'exprimer cette autre manière
d'être au monde, mais en précisant d'entrée qu'il est question
ici d'un rapport à la terre (énergies, rythmes, formes), non pas
d'assujettissement à la nature, pas plus que d'un enracinement dans un
terroir. Je parle de la recherche (de lieu en lieu, de chemin en chemin) d'une
poétique située, ou plutôt se déplaçant, en
dehors des systèmes établis de représentation : déplacement
du discours, donc, plutôt qu'emphatique dénonciation ou infinie
déconstruction. Mais ce n'est là qu'une configuration préliminaire.
L'accent, ici, n'est pas mis sur la définition, mais sur le désir
de vie et de monde, et sur l'élan. »
(Kenneth White).