Les canards s'en lavent les pattes

En canot sur la Gironde :
 
Croisière 2010 à bord du canot Plénitude

par Jean-Bernard Forie


Vendredi 9 juillet

Pour partir plus facilement, je suis venu la veille au soir prendre un corps mort dans l’avant-port. Départ vers huit heures. Mon projet initial était d’aller explorer la passe sud, en frôlant la Pointe de Grave avant de continuer vers le sud jusqu’à Soulac, mais il y a une prévision de vent fort (fort pour le canot : tout est relatif !), aussi par prudence je préfère modifier une fois de plus mes plans. Il faut se souvenir que je ne suis plus en mesure de prendre, s’il le faut, le second ris, ce qui me semble inapproprié à une sortie en mer, parce qu’une fois engagé dans la passe sud, on est en mer.

Sur les pentes du « Caillau »

Direction la falaise du Caillau, au sud de la baie de Chant Dorat. Elle est proche du port des Monards où je pourrais faire escale avant de revenir le soir à Talmont, où m’attend mon ami Jacques Graveaud. Cette falaise m’intrigue, avec ses « recoins » qui excitent ma curiosité et que je voudrais explorer à pied, en longeant le rivage.

Les risques d’orage s’évanouissent définitivement, une brise très maniable m’emporte. Elle se renforce : qu’importe ! Au portant avec courant sous quille, le vent apparent est plus faible que le vent réel. Le retour sera probablement plus sportif ! J’essaie de débarquer sur l’estran, au pied même de la falaise de Caillau, mais il y a trop de ressac. Je vais me réfugier au port des Monards, où l’entreprise GSM (Granulats et Sables Marins) tourne à plein régime avec son défilé continuel de camions qui viennent approvisionner les chantiers de la région. Tournant le dos à toute cette agitation bruyante et poussiéreuse, je pars longer le bord du plateau calcaire. Vu d'en haut, le paysage est magnifique. La combe que j'avais aperçue du canot apparaît. À son débouché se niche une petite maison. Derrière, une ancienne carrière se découpe dans la falaise. Mais tout est entouré de grillages. Quelqu’un qui défend farouchement sa tranquillité est venu ici se mettre à l’abri du monde.

Je continue jusqu’à Barzan dont j’apprécie le magnifique paysage. Au fil des années, les prairies se couvrent de chantiers de fouilles : apparaissent des fondations antiques, et de nouveaux chemins, comme autant de griffures de calcaire blanc : la ville gallo-romaine est là, ou du moins son fantôme. Son port reste encore inexploré… Mais je dois repartir car ce soir je suis attendu à Talmont.

Ce fichu gouvernail qui se fait la belle !

La marée baisse, je prépare le départ. Il faut visser les couvercles des bidons avant de les arrimer soigneusement, et prendre un ris en nouant bien les garcettes. Une fois regagné l’eau libre, je retrouve le bon vieux clapot de l’estuaire (le vent étant contre le courant) chaotique comme jamais. Le gouvernail choisit ce moment-là pour sortir de ses aiguillots. Il tombe à l’eau. Heureusement, il est en permanence relié à la coque par une sauvegarde. Je le récupère : la lamelle d’inox qui le bloque habituellement dans ses fémelots s’est tordue au fil des échouages. Comme le gouvernail n’est pas lesté, sa flottabilité, dès que le plan d’eau est agité, le fait se décapeler au passage de la moindre vague. J’écarte l’idée de gouverner avec un aviron. Il faut absolument recapeler ce fichu gouvernail et le forcer à rester engagé dans ses ferrures. J’y arrive avec l’aide d’un sandow à crochet, tendu du sommet du gouvernail jusqu’au fémelot inférieur. Je peux alors me concentrer sur la marche du canot contre le vent et négocier au mieux le passage dans le clapot. L’embrun vole, il faut faire du rappel, c’est très sportif, mais avec sa belle voile rouge portant sans un pli, Plénitude serre le vent du mieux qu’il peut (et le jusant aide aussi…).

Un voilier d’environ huit mètres me rattrape. Grand-voile à un ris et génois un peu enroulé, il tangue autant que moi, mais les embruns doivent très rarement mouiller son cockpit, son francbord étant largement plus du double du mien. Nos routes se croisent un moment, à courte distance, et là, je suis stupéfait : voilà que son équipage roule complètement le génois, borde la grand-voile dans l’axe et continue benoîtement au moteur ! Certes, il peut avoir une multitude de bonnes raisons pour cela mais, quand on fait de la voile, on fait de la voile, pas du moteur ! Pas dans des conditions comme celles d’aujourd’hui, parfaitement maniables pour un bateau de cette taille.

J’arrive à grande allure devant l’entrée de l’étier de Talmont, après avoir largement abattu. À l’entrée du port, voile ferlée, Plénitude continue sur son erre, aidé de quelques coups de godille. Mon ami Jacques Graveaud m’accueille sur le quai. Comme promis, je suis là à dix-neuf heures. Avec sa gentillesse habituelle il m’offre, comme l’année dernière, une très agréable escale avec nuit à terre, d'autant que je peux surveiller, par dessus le mur de son jardin, le canot amarré dans le port. Le rêve !


Jeudi 8 juillet | Samedi 10 juillet


 

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