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mai, presqu'île de Talmont —Vent
d'ouest, les brisées du fleuve
sur l'estran, la falaise de Meschers
sous la brume. Dans la
prairie tamaris et marronniers en fleurs,
fougues des pollens. Dans la cité glycines,
iris, premières roses, derniers
lilas. À présent sont
calligraphiés et gréés
sur leurs suspentes trente-sept draps
et taies. Cette matière première
attend d'être livrée au
Syndicat Mixte pour la Restauration
et l'Animation du Site de Talmont.
Une prochaine réunion de travail
viendra confirmer les propositions
de distribution de ces draps dans la
cité et ses alentours. Vient à présent
le temps d'un regard en arrière,
d'une relecture éclairée
par les choix opérés:
c'est au fond la raison d'être
de ce journal. À la lumière
des calligraphies réalisées,
relire le texte inaugural qui énonce
en date du 20 février : Plus
le territoire s'ensauvage, se dérobe,
plus la lignée s'affirme, se
structure. Quand le territoire résiste,
voire se soustrait à l'appropriation,
c'est la lignée qui tient lieu
de territoire. —mot à prendre
dans l'acception que lui donnent Gilles
Deleuze et Félix Guattari dans
leur ouvrage Mille Plateaux : "Le
territoire c'est d'abord la distance
critique entre deux êtres de
même espèce : marquer
ses distances." Il s'agit ici
de deux êtres collectifs, deux
sociétés, celle de pleine
eau et celle de la terre ferme. Le
territoire des pêcheurs, fragment
de l'espace estuarien, se double d'une
dimension culturelle : marquer ses
distances se joue d'abord ici. De même
le concept de lignée —série
des hommes et des femmes qui s'engendrent —englobe
le patrimoine immatériel, la
mémoire accumulée, l'espace
culturel. C'est de ce territoire-là que
fuse la parole des femmes. "C'est
pourquoi le territoire n'est pas un
lieu, mais un acte, qui arrache
sur le chaos du milieu des forces qu'il
condense et qu'il rend visibles",
commente Anne Sauvagnargues. Ces forces
arrachées les voilà griffées
sur l'étoffe, sépia sur
vase. Deleuze et Guattari toujours
: "Écrire n'a rien à voir
avec signifier, mais avec arpenter,
cartographier, même des contrées à venir." Bornage
donc de l'arpent identitaire, apnées
en mémoire profonde, îlots
de clarté dans la nuit des lignées,
touches visant à palper le terrain —la
cartographie viendra plus tard —incursions
en quête des points forts, des
lieux d'intensités : les racines
du fonds patrimonial, bloc d'où prend élan
et consistance la dynamique de la transmission.
Mille Plateaux poursuit : "Il n'y
a pas de différence entre ce
dont parle un livre et la manière
dont il est fait [...] On
se demandera avec quoi il fonctionne,
en connexion de quoi il fait passer
des intensités, dans quelles
multiplicités il introduit et
métamorphose la sienne [...]" Ces
draps calligraphiés forment
autant de pages d'un livre, tissu-mémoire
déchiré, rapiécé,
livré au vent qui rebat l'estuaire,
mémoire enveloppante, parole
organique jaillie sans ordre, chaînons
pouvant faire pièce par grappes,
par lignes, se maillant aux rues et
places. "Mais la seule question
quand on écrit, c'est de savoir
avec quelle autre machine la machine
littéraire peut être branchée,
doit être branchée pour
fonctionner." Avec quoi fonctionnera
ce livre de vent, quelles seront ses
connexions avec le monde des visiteurs ?
Une telle question pourrait bien être
l'enjeu de la journée du 18
juin prochain.
Mille Plateaux, Gilles Deleuze, Chaire de philosophie de Paris VIII, et Félix Guattari, psychiatre, Editions de Minuit, 1980. Anne Sauvagnargues "La philosophie de Deleuze", ouvrage collectif, Presses Universitaires de France, 2004. Annes Sauvagnargues est maître de conférences à l'Ecole Nationale Supérieure des Sciences Humaines. |