13 mars 2005, port de Talmont —Ciel étoilé,
petit souffle du levant, l’herbe givrée à la
prime aube, sous un mince croissant de lune. Marée
de vive eau, la mer remonte sous la roselière,
emplit les fonds sous la digue. Le fossé de drainage à plein
bord, au ras de la prairie. Le soleil perce, l’eau
se retire dans la baie du Caillaud. Une aigrette dort
contre un tronc échoué, sur une patte,
le cou rentré. Le village est désert à cette
heure. L’horizon net, baie cobalt, bleu de fronces
pleine peau. L’ombre d’un cargo avalant dans
la brume. La falaise de Cornebrot l’herbe rêche,
son pied dans l’ombre dure, broussailles d’hiver,
les pêcheries plus noires encore, une forêt
de pilots, un carrelet tout au bout, coupé par
l’horizon. Contre-jour, la laisse de vase éblouit,
un vol de colverts en triangle dans le ciel. La cale
d’échouage, tannée à la vase,
l’eau se retire, la plage, sable semé de
calots de tuiles, les pontons de planches brossés
au goudron, un anneau d’acier scellé dans
les pierres fait rond dans l’herbe, les bornes
pour tourner les amarres, et tout là-bas, l’orée
de la baie, la brisée du ressac, un cormoran sur
la vase.
Aujourd’hui l’environnement du territoire change, cette mutation induit une crise de l’identité et un questionnement sur l’avenir, sur la pérennité des lignées. D’une part le territoire du fleuve jadis difficile d’accès et réservé aux membres de la lignée, s’ouvre. Tout un chacun devient susceptible sans titre et sans qualités propres d’acquérir une coque et de pratiquer la pêche en amateur. Le pêcheur se sent dépossédé, son savoir faire ne le protège plus. A quoi bon dès lors rester fidèle à la lignée ? Par ailleurs, devient possible la production de nourriture à meilleurs compte. Ainsi de l’élevage qui prend le relais de la pêche. Contre ces deux facteurs, le pêcheur ne sait comment lutter. Son statut change, il ne vend plus une simple nourriture qu’on peut trouver ailleurs à meilleur compte, mais il offre un symbole fort, un enracinement, une identité qui fait aujourd’hui défaut au grand nombre, une force de vie garantie par sa place dans une ligne remontant aux sources de la vie. |