25 février 2005, Meschers —Dans
la nuit impact du grésil sur le toit du fourgon.
Aube noire striée de blanc, vent du sud halant
ouest. Sarments des tamaris verdis par la repousse. Au-delà du
canal l’épine noire en bourgeon, averse
blanche sur le hallier, et toujours ce picot du grésil.
Sur le canal sertis de glace, trois colverts passent,
deux malards et une cane. Partir ! Le fleuve dans la
brouillade, fourmillement. Partir vers la terre d’estuaire,
au-delà du fleuve, dans le voltigement du grésil
mêlé au sable. « J’y
reviens, reviens, reviens encore. Bon ! J’ai fait
deux dessins de ça –de ce paysage plat où il
n’y avait rien que... l’infini... l’éternité. » (Vincent
Van Gogh à son ami le peintre Emile Bernard, lettre
B10 F, Arles, juillet 1888.) Dithyrambique ? Cohorte
des visiteurs dans l’église, sur le promontoire
face au fleuve. Que viennent-ils chercher ? Le savent-ils
? Un vol d’étourneaux posés sur un
câble électrique. Nappes de brume courant
le fleuve, la balise émerge, s’y noie de
nouveau. Emerge aussi l’autre rive de la baie,
liseré gris du bois de tamaris, un mur accroche
la clarté. Le village paraît dormir, volets
tirés, sauf des fumées mangées par
la brume. Talmont, un avant-poste face au chaos pensant,
bornant la chrétienté de l’an mil,
civilisation en butte aux forces du mal. Sur le pilier
oriental du transept une sculpture représente
Saint-Georges : Au milieu de la corbeille, nous faisant
face, le saint, protégé de son haut bouclier,
maîtrise le dragon à sa gauche, préservant
d’une mort certaine la jeune princesse Sélène à sa
droite (avec ses longues manches pagode). Forteresse
de prière contenant les forces du chaos qui habitent
l’espace estuarien, et frappent le pied de la falaise.
Le dragon sapera la falaise vers le milieu du douzième
siècle, entraînant dans la mer deux travées
de la nef. Terreur de l’an mil, intrusion des barbares,
pillages des vikings —les drakkars surmontés
d’une tête de dragon. Promontoire pour voir
venir la pensée qui menace la civilisation, la
conjurer. Tout le pays d’en bas, de l’autre
côté du fleuve, n’est que chair de
la mer, du vent, sable volant, landes sans loi. Ligne
d’effondrement du plateau calcaire qui fixera le
cours du fleuve. Finistère ouvrant sur une terre
sans roi, pensée nomade, terre qui pense autrement.
Talmont, redoute avancée pour contenir une pensée
du chaos, désagrégeante, rempart de prière
face aux forces du vide, bâti sur un lieu d’intensité.
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