Lettres d'estuaires
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Le veilleur de pierre

J'avais ouvert ma porte sur un couchant poudreux, un relent de marée accroché aux charnières, et tel un pieu de chêne au ventre d'un sol neuf, j'avais planté mon cœur aux remparts de la ville.
Blaye s'était embrasée, fervente à mon étreinte, s'offrant sans retenue à mon regard passant pour ensuite m'endormir dans une nuit fidèle.
C'était il y a dix ans.
Ses vieux murs qui somnolent ont dessiné mes rides et j'ai l'impression parfois que ma jeunesse s'enroule à leurs doigts de pierre pour cimenter nos liens.
Souvent, lorsque le soir promène au bras du fleuve quelque ardente flamme, je me blottis contre eux. Là, des parfums d'océan, d'humus et de vin ambré déposent sur ma peau leur mélange subtil et je deviens la Terre, et la Pierre et l'Eau grise et mes mains se souviennent de ce temps qui patine, puissant et généreux.
La faconde, alors, vient me sevrer d'une larme, et je me retrouve nue sous le manteau d'étoiles, le cœur éparpillé sur ces brumes translucides qui hantent le Blayais.
S'il est un lieu où l'Homme, en promenant son rêve, peut s'arrêter un instant sans en perdre le goût, c'est sans nul doute ici, dans ce coin de patience, qu'il vibrera entier.
Les nuits sont telles des jours, suspendues à un souffle.
On y respire un vent de bonheur doux, feutré.
 

© Mireille Calmel, 1995

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde