Lettres d'estuaires

Tenir

Photo ayant inspiré Rémi Checchetto

En estuaire comme en nous il faut tenir, soutenir, tenter de préserver.

Quand cela monte, quand cela descend, quand cela va en flux ou reflux, quand cela vient des eaux ou de l’air, des multitudes des mondes, lorsque cela arrive ou s’en va, alors que cela fait soleil ou larmes, tempête ou ciel clément, tenter de conserver la terre et les herbes et les arbres, la chair et les pensées et l’âme. Tout ce qui forme les soubassements où vivent les racines, tout ce qui est fondement où se tiennent les fondations. Les branches et cordes qu’il faut installer, les endurances et forces que cela nécessite. Le savoir-faire indispensable. Les filtres contre les boues, les écrans contre les fanges. Toutes constructions de jour et de nuit, à chaque seconde pour les mille ans des vies. Les défenses, les sauvegardes que cela forme, les glissements et éboulements que cela empêche. Les forces et le dévouement que cela nécessite.

Afin de tenter de conserver.

Cela qui est indispensable.

Mais ce que cela empêche aussi, contrecarrer, s’opposer, freiner, ce que cela crée d’être ainsi rigide et droit, imperméable et dur.

Nulles épousailles ou presque de terre et d’eau, presque aucune alliance de soi et des mondes. Être doucement perméable et accostable alors. Lorsque cela n’est pas que boue ou fange. Laisser faire, se laisser aller. Puisque nous aimons la vie et ces gestes inattendus. Car nous savons que tenir debout ce n’est pas fatalement vouloir tout tenir, tout régenter. Puisque nous savons pertinemment que vivre c’est manger le pain de l’air, se nourrir de la voix des foultitudes, s’abreuver des clartés comme des ténèbres. Et nous allons, yeux grands ouverts sous la protection des cils, mains tendues au bout du réflexe de recul, cœur ouvert et fort de ses muscles. Allons, avec nos faims et nos digues.

Puisque vivre, oui, c’est recevoir et donner, recevoir doucement et énormément, donner lentement et vastement. Tout en secret et patience, au bout des digestions et mûrissements le plus possible. Quelque chose comme un petit courant d’air plutôt qu’un grand vent. Plutôt petite lueur que feu d’artifice. Et rien alors ne remue trop aux alentours alors que tout bouge profondément.

Rémi Checchetto ©

Cette nouvelle inédite fait partie de la série "Une photo, une fiction".

Biographie

Rémi Checchetto est né le 22 février 1962 à Briey (Meurthe-et-Moselle).
Curieux des autres, sachant pertinemment que la vie est aussi ailleurs, il anime des ateliers d’écriture, mène des actions collectives, fabrique des expositions, fait des lectures.
Avec Claire Truche, dans le cadre des Rencontres estuariennes 2010, il a écrit le texte de la performance Visite sculptée en rive d’estuaire. Ce travail a donné naissance à un livret éponyme publié par le Conservatoire de l’estuaire de la Gironde en novembre 2010.

Éditions
Bruissements Ça hésite encore

Vincent Monthiers et Rémi Checchetto

Une exploration photographique et littéraire du réseau lacustre aquitain : lac de Cazeaux, delta de la Leyre, anciennes gravières de Blanquefort, ruisseaux et courants…

Avec ce patrimoine sensible, source d’inspiration et de réflexion sur le mélange entre l’eau et la terre, Vincent Monthiers photographe, a composé une série de photographies prises à la lisière de l’eau : Bruissements. L’écrivain Rémi Checchetto fait écho à Bruissements avec Ça hésite encore, un texte qui nous plonge dans le troisième jour de la Genèse.

Il s’agit d’une édition limitée, numérotée et signée comprenant quinze tirages photographiques, imprimés en digigraphie (certifié Epson) sur papier Velvet au format 15 x 21 cm. Les textes sont imprimés sur papier bouffant au format 90 x 21 cm, ainsi qu’une feuille de présentation de l’ouvrage réunis dans un coffret marqué par impression à chaud.

Vous pouvez participer à l’édition de ce magnifique livre d’artistes. Ces artistes vous remercient.

Contactez Script éditions à Bègles de la part du Conservatoire :
05 56 31 32 09 script.bordeaux@wanadoo.fr

Présentation détaillée et bon de commande sur le site de Vincent Monthiers.

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde