Lettres d'estuaires

Picon bière

Le jour se lève sur les Queyries | La maison de Manu | Picon bière


Mon père et Gaston, le père le Manu, profitent des derniers rayons de soleil dans le petit jardin. Ils pratiquent leur loisir favori, le jeu de dames. Plus qu'un jeu c'est une véritable passion, un rendez-vous quotidien à partir de 18 h, en compagnie de l'inévitable Picon bière. Ma mère et celle de Manu travaillaient à l'étiquetage des bouteilles à Picon, où se trouve aujourd'hui le siège de l'ANPE du quartier. D'après mon père, ma mère sentait toujours bon la fleur d'oranger. Je me souviens qu'étant gamins on avait droit à des oranges sans écorces achetées le matin au marché des Capucins, la peau des oranges servant à fabriquer le Picon.
Gaston me fait un clin d'œil en guise de bienvenue. Il observe de loin l'échiquier tout en suçotant une Gitane maïs, la bouche en cul de poule. Une dizaine d'années plus jeune que mon père il le dépasse largement en rondeurs, qu'il ne cherche d'ailleurs pas à dissimuler, avec de généreuses ouvertures à ses chemises, en haut et en bas. J'ai toujours été captivé par ses boutons de manchettes en or ou imitation or, petit je trouvais que ça faisait très classe.
Il a fermé les yeux, ses sourcils épais froncés, il bombe son torse, expire longuement et rouvre les paupières avec un sourire satisfait. Il se gratouille ensuite le nez et déplace un pion. Mon père fume la pipe, penché sur l'échiquier. Je me sers un Picon.

© Antonio Arévalo, 2001

D'origine espagnole, Antonio Arévalo est journaliste et animateur de radio.
Texte extrait de 'Quai de Queyries' (éd. Culture Suds)

© Conservatoire de l'estuaire de la Gironde